A chacun sa pollution
« Hier, profitant d’être babôrd amure j’ai sorti le gennaker du bateau, avec lequel Ellen MacArthur avait navigué lors de sa tournée asiatique en 2006, j’ai bien vu avant de le hisser que cela sentait ses dernières heures. Je me suis dit que si je le finissais sur cette Route du Rhum en mode « Use It Again ! », cela aurait été une belle vie pour cette voile. Elle fait 373 m2, c’est donc une sacrée surface, issue comme toutes les voiles, de la pétrochimie. Eh oui ! Notre sport aussi beau soit-il, n’est que pur produit de la pétrochimie… jusqu’à présent, désolé de vous décevoir cher lecteur. Et donc je hisse cette sacrée voile, la déroule et la borde (déjà il faut compter  1h après avoir tout installé, tout rangé) et 2h plus tard, j’entends des bruits de papier qu’on froisse. Je sors de ma cabine et je sens bien que c’est le cri de désespoir de la voile qui vit ses dernières heures. C’est bien cela ! Le tissu se délamine comme on dit (les couches de tissu se désunissent) et c’est parti. Le vent se prend dedans, des lambeaux se font sur la bordure (la partie basse horizontale de la voile). Et là, je me dis que je ne peux pas laisser partir cela en mer. Alors, j’abats pour faire ralentir le bateau, prend un couteau , attrape ma voile et découpe ce qu’il y a à découper de tissu qui flotte au vent. C’est un mélange de fibres et de couche plastique. Ca n’a l’air de rien quand la voile est hissée mais vu la boule de tissu (disons 1m3) que j’ai rapportée, je me dis qu’il faut absolument faire attention au moindre déchet / tissu qui s’envole. Ce qui me rappelle la réflexion que je me fais souvent en lisant les récits de course. Je suis stupéfait de lire comme les marins semblent laisser partir à l’eau une voile entière, voir au pire abandonner leur navire. Ce sont les premiers ennuyés par la situation certes, mais je lis rarement un sentiment de culpabilité envers la planète et l’océan, simplement la tristesse de perdre leur bien…  Du coup, pour revenir à mon gennaker, il est toujours là, je l’ai même enroulé à nouveau, il tire un peu la gueule certes, mais je le renverrai cette nuit quand j’empannerai pour être bâbord amure, sur mon « bon » bord… tout en faisant bien attention à ne pas laisser partir à l’eau des morceaux de plastique 😉 Car si on fait tous, je l’espère 😉 attention à ne pas jeter par terre le moindre mégot (ndlr: 1 mégôt = 500L d’eau polluée), le moindre plastique, par terre en ville et ailleurs, alors nous au moins, marins que nous sommes, devons montrer l’exemple.  Promis je ferai tout mon possible pour que ce gennaker ne finisse pas à l’eau !  » 

Romain sur l’Atlantique, à 1400 milles nautiques de l’arrivée